vendredi 28 mai 2010

Décentralisation et environnement

Interview du groupe Graine de sésame

Ibrahim El Ali, Président de la Fondation BlueGreen : « Les pays du Sud doivent cesser d’être attentistes »
Ibrahim El Ali est un Libanais né au Sénégal et vivant en France. Il y a quatre ans, il délaisse sa société d’import/export pour se consacrer à la préservation de la nature en Afrique et sur le pourtour méditerranéen. Citoyen du monde, il est souvent invité par les organisations internationales et les médias pour livrer son regard d’homme de terrain.




(Réunion de travail pour préparer les Objectifs du Millénaire pour le Développement au Ministre des Affaires étrangères et européennes)

Graine de Sésame : Qu’est-ce qui vous a poussé à abandonner votre carrière d’homme d’affaires pour vous consacrer aux causes environnementales ?


Ibrahim El Ali : Avant de me consacrer à mes associations, j’étais dans l’import/export de produits alimentaires à Rungis. J’ai commencé à m’intéresser à l’écologie lorsque je rendais visite à mon grand frère, Haidar El Ali, au Sénégal. A ses côtés, j’ai participé à des actions visant à protéger la biodiversité africaine. Une fois rentré en France, je retrouvais mes habitudes. Puis, il y a eu le décès de ma mère. Je suis parti au Liban pour l’enterrer et j’ai redécouvert mon pays. Le Liban est un pays riche d’une biodiversité menacée par les conflits, son urbanisme et son agriculture intensive. Je devais réagir à ma façon. J’ai créé ma première association Mawassen Khair (moisson de la bienfaisance). Avec des petits moyens, je mène des actions de protection de la nature.

Graine de Sésame: Quels étaient les moyens financiers, humains dont vous disposiez pour réaliser vos projets?

Ibrahim El Ali : L’ONG Mawassen Khair prouve que la protection de l’environnement est une question de volonté et non de moyens. Mawassen Khair est constituée d’une petite équipe de vingt personnes. Après le conflit de juillet 2006, nous avons participé, avec la FINUL, au déminage de 4 000 bombes en sept mois. Le procédé était simple. Nous avons impliqué les chefs religieux, les municipalités, pour qu’ils demandent aux habitants des villes du Sud de nous prévenir s’ils voyaient un obus pour le désamorcer.


Ensuite, nous avons reboisé les zones pour reconstituer un écosystème. Cela nous a coûté peu d’argent, car nous avons impliqué tous les acteurs de la société. Les actions environnementales doivent obéir au mouvement du haut vers le bas et du bas vers le haut. Ce qui veut dire que les actions ou les initiatives doivent être issus des acteurs publics et des citoyens.

Graine de Sésame: Alors comment réussissez-vous à mobiliser autant de personnes à vos actions ?


Ibrahim El Ali : Les réseaux sociaux sur Internet créent des synergies pour booster des projets dotés d’encore peu de moyens. Cela m’a incité à créer ma fondation BlueGreen. Cette fondation a pour vocation d’être une plateforme réunissant des experts environnementaux originaires d’Europe, d’Afrique et du Proche-Orient afin d’élaborer des projets communs.


conférence Web Diversity 2010


Graine de Sésame: Il existe déjà des plateformes de chercheurs, Quelle peut-être l’utilité réelle de votre fondation ?


Ibrahim El Ali : La fondation BlueGreen part du constat que les initiatives environnementales dans les pays du Sud ont souvent pour cadre un programme de coopération avec les pays occidentaux. Il faut sortir de cette logique. Les pays du Sud doivent cesser d’être attentistes et de rester dans l’expectative de ce que leur proposent les institutions internationales ou les pays du Nord. Ils doivent s’impliquer d’avantage dans les projets, pour acquérir une autonomie et une certaine expertise sur les différents aspects du développement durable. Quelle a été l’implication des pays de la rive sud de la Méditerranée dans le projet DESERTEC, hormis de mettre à disposition leur territoire pour les fermes solaires ?
La fondation BlueGreen souhaite monter des projets environnementaux entrant dans une démarche de coopération entre les pays du Sud. Traiter des problèmes environnementaux dépasse tous les clivages possibles entre des Etats voisins et les obligent à décentraliser les pouvoirs d’action.

Graine de Sésame: Pourquoi pensez-vous que la décentralisation est nécessaire pour défendre l’environnement ?

Ibrahim El Ali : Pour apporter des bons résultats, la décentralisation du management environnemental est impérative. Cela doit venir du citoyen, puis de la municipalité. Lorsque je menais mes opérations de reboisement, je m’accordais directement avec l’habitant et la ville. Quelle entité publique connaît à la fois les besoins des citoyens et l’état de la nature ? La ville est au plus près de la réalité et nous devons lui donner plus de moyens pour agir.



Je constate que la coopération décentralisée porte rapidement ses fruits. La région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) et la Fédération de commune de Jezzine travaillent ensemble pour développer l’éco-tourisme autour des forêts de pins de Jezzine.


Graine de Sésame: Du coup pensez-vous que l’idée d’'une gouvernance mondiale ou régionale de l’environnement est désuète ?


Ibrahim El Ali : Non, il faut penser global et agir local. L’environnement ne connaît pas de frontières, il fait donc réfléchir ensemble sur les solutions à apporter. L’Union pour la Méditerranée (UPM) est la parfaite illustration de mes propos. La Méditerranée représente 1 % des eaux maritimes mondiales et concentre, à elle seule, 30 % du trafic maritime mondial. Les pays du pourtour de la Méditerranée participent à sa dégradation en rejetant déchets et eaux usées. La mise en place d’instrument commun peut apporter des solutions contre la pollution de la Mare Nostrum. L’Union pour la Méditerranée est un excellent projet. Malheureusement, l’UPM connaît des difficultés à cause de la question du financement. Tant qu’on pense que la richesse vient de la monnaie et non d’un arbre, nous emprunterons une fausse route.




Myriam Bounouri,
mbounouri@sesame-ouvre-toi.com
tél : 01 42 47 14 14

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