mardi 10 novembre 2009

Le Liban n’est pas une poubelle


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«Le Liban n’est pas une poubelle»

Qui aurait pensé qu’une courte visite au Liban effectuée par un Libanais ayant passé la majorité de sa vie en Afrique se transformerait en un ardent combat pour la protection d’un patrimoine écologique unique au Proche-Orient ?
C’est pourtant l’histoire d’Ibrahim El Ali. Cet homme s’est rendu au Liban pour la première fois il y a cinq ans. Là-bas, il y a découvert une terre riche de sa biodiversité, mais maltraitée, parfois même défigurée. La première étape de son combat a été la fondation d’une ONG, « Mawassem Khair » ou « Moissons de la bienfaisance » qui s’est assignée comme mission première la protection des forêts libanaises. La dernière action de l’ONG s’est déroulée dans la forêt de Bkassine. Albalad a eu l’occasion de rencontrer Ibrahim El Ali pour faire le point des activités de Mawassem Khair.
Par Chantal Bou Akl, journal Al Balad






Quel est votre parcours depuis l’Afrique jusqu’au Liban ?

Je suis président d’une ONG nommée « Mawassem Khair » (« Moissons de Bienfaisance ») dont la mission est de faire découvrir et de sauvegarder le riche patrimoine naturel du Liban, sa biodiversité unique au Proche-Orient.
Membre de la communauté libanaise du Sénégal, j’ai commencé mes actions en Afrique avant de me consacrer exclusivement au Proche-Orient. Au Sénégal, au côté de mon frère Haidar El Ali, je me suis engagé, dans le cadre de l’association Océanium, dans la défense des dauphins et des espèces protégées, puis dans l’effort de reboisement.
Au Liban ensuite, où je me suis rendu la première fois il y a cinq ans, pour y accompagner mon père suite au décès de ma mère. Sur place, j’ai pu découvrir avec émerveillement une « Terre Sacrée », véritable capitale de la biodiversité du Proche-Orient et ce coup de cœur m’a poussé à m’engager dans la protection de son riche patrimoine écologique. Mon ONG, Mawassem Khair, « Moissons de la Bienfaisance », en coopération avec la FINUL, a participé au désamorçage de plus de 4000 bombes au Liban-Sud, au reboisement de la région ainsi qu’à la lutte contre les incendies. Elle a surtout consacré ses efforts à la sensibilisation et à l’éducation de la population aux problèmes environnementaux car c’est une condition pour lui faire acquérir des comportements adaptés aux enjeux du développement durable.
Mon grand projet actuel est de renforcer mes initiatives de reboisement du Liban, d’assister les municipalités en matière de traitement des déchets et des eaux usées, de créer une agence d’information dédiée au développement durable et aux questions d’éco-santé au Liban.



Quelle est l’idée à l’origine de Mawassem Khair et son agenda ?


Le constat que le Liban, formidable réservoir de la biodiversité et château d’eau du Proche-Orient, possède tous les atouts pour devenir un pays avec une haute empreinte écologique. Nos forêts contiennent une riche biodiversité, surtout au niveau de la faune. Il n’est pas rare d’y croiser une hyène ou un lynx, des espèces en voie d’extinction. Mon ambition est de participer à ce grand projet que tous les amoureux de la nature et du Liban souhaitent voir se réaliser, de mobiliser toutes les organisations engagées dans ce combat et la société civile pour faire une sorte de grenelle, et proposer au futur gouvernement des projets de loi visant à préserver cette richesse, poumon de l’économie nationale.
Dans la continuité de notre opération « Le Liban n'est pas une poubelle », nous avons pour projet de nettoyer entièrement nos forêts, et de créer une sorte de police environnementale, qui exercerait un contrôle des vacanciers et de leurs véhicules pour vérifier qu’au moment du départ, ces vacanciers ne jettent leurs déchets dans la forêt.




Je propose l’idée que tout pollueur soit sanctionné par une amende qui est payée au moment où le propriétaire soumet sa voiture au contrôle de la mécanique. Les agents de la défense civile pourraient fort bien jouer ce rôle ou bien des gardes forestiers, ou même une police municipale. Il faut réfléchir aux moyens de dissuasion et aux sanctions, car ce genre d’action contraignante est à même de pousser les pollueurs à un changement radical de comportement.
Ce sera sans doute long mais pas impossible. Qui aurait pu penser il y a tout juste trois ans que les Libanais accepteraient un jour d’attacher leur ceinture de sécurité en conduisant?
Notre agenda est très fourni, mais hélas comme toutes les ONG libanaises nous connaissons le problème du financement.

Quels sont les réalisations de l’ONG, et ses objectifs

« Mawassem Khair » s'est distinguée par une participation active aux opérations de déminage au sud Liban après la guerre de 2006, puis par des actions de soutien aux populations à l’accès à l’eau potable et à l’électricité etc, toujours en collaboration étroite avec la FINUL.
« Mawassem Khair », s'est mobilisée ensuite pour reboiser et lutter contre les feux de forêts, mobiliser l’opinion internationale à travers des conférences à l’UNESCO dans le cadre du forum de Paris pour protéger cette richesse de la biodiversité que nous offre naturellement le Liban.

Ses objectifs sont les suivants : continuer a nettoyer la forêt de pins de bkassine , initier un projet de station d’épuration d’eaux usées dans la région, mobiliser tous les acteurs pour intégrer cette forêt dans le programme des parcs nationaux à protéger, et créer ensuite une agence au Liban qui serait le lien entre les pouvoirs publics, les municipalités et les différents acteurs de la société civile (ONG, écoles , etc.) afin qu'ils disposent de toutes les informations pour assister les collectivités et trouver des solutions concrètes à la gestion des déchets physiques, des eaux usées et toute forme de pollution, et enfin pour sensibiliser efficacement et durablement la population afin qu’elle ne reproduise pas les mêmes schémas nocifs et rencontre les mêmes problèmes à l’avenir. Trois pôles d’action seront conjointement menés : les opérations de nettoyage sur le terrain, la sensibilisation/prévention, et la sanction/répression en cas de récidive.


Notre objectif est de faire du Liban une référence et un précurseur en matière d’écologie. Ceci peut paraître complètement irréaliste voire démesuré, mais la crise persistante et les structures désorganisées de l’état en période de guerre, ont poussé les Libanais à montrer toute l’étendue de leur débrouillardise légendaire, et à trouver des solutions qui épousent naturellement l’écologie. Quelques exemples le prouvent : au Liban on utilise les lampes à économie d’énergie alors que l’Europe prévoit de le rendre obligatoire dans 4 ans, les maisons récupèrent l’eau de pluie , les chauffe-eau solaires sont très courants au Liban, et la récupération de l’énergie à travers des accumulateurs UPS et des batteries permettent d’électrifier les maisons en période de coupure d’électricité. Le chemin est encore bien long, et l’on se désole toujours de voir à la fois tant de richesse et tant de gâchis….


• Concernant la collecte d’ordures à Jezzine : quelle est l’idée à la base de ce projet? Parlez-nous du déroulement et des préparatifs, de la participation des habitants.

Ce projet a démarré il y a un an, après une visite de la région, avec l’objectif de promouvoir la forêt de Bkassine - la plus grande forêt de pins du Proche-Orient avec plus de 220 hectares de pins – et de l’intégrer dans un vaste programme de protection naturelle des forêts du Liban. Pour Bkassine, notre Ong espère obtenir son classement en tant que parc naturel protégé.
Zeina MAAZ (la fille de la vice-présidente de Mawassem Khair) habitant le village de Sabah, avoisinant Bkassine, et Sarah SBEIH (sa cousine) ont été choquées de voir autant de déchets de toutes sortes s’amonceler dans une si belle forêt, et on éprouvé un sentiment de révolte légitime devant cette catastrophe écologique galopante. C’est alors qu’elles ont contacté Mawassem Khair et que nous avons décidé de lancer une opération de nettoyage et de sensibilisation de grande ampleur impliquant des jeunes de la région.



Quand la télévision Française nous a contacté pour faire un reportage touristique de la région, nous leur avons souligné la nécessité de parler aussi de l’urgence des mesures à prendre pour protéger les forêts du Liban . Ainsi, d’une pierre deux coups, nous avons nettoyé la forêt, certes partiellement, nous avons reboisé et fait connaître cette belle région à de nombreux téléspectateurs francophones.
Ceci est juste un début, nous continuons à nous mobiliser pour poursuivre nos actions.






• Quelles ont été les difficultés rencontrées et les facilitations obtenues ?


Nous avons été félicités par les autorités municipales de Sabah et de Bkassine, mais notre plus grande récompense a été de constater l’enthousiasme des enfants, qui voulaient en faire toujours plus. Etant donné que la chaîne de télévision française France 3 faisait un reportage sur les activités de Mawassem Khair, nous avions des impératifs d’horaire pour le tournage, mais la joie des enfants dans le nettoyage puis dans le reboisement , et de voir qu il est possible de préserver la forêt avec des initiatives locales constitue notre plus grande récompense.
Les difficultés demeurent, mais aussi les regrets de voir que des pique-niqueurs viennent encore fumer le narguilé et que les fourneaux continuent d’être un vrai danger pour cette forêt de pins qui s’enflamme très rapidement.


La vue de ces décharges sauvages nous affecte profondément, nous environnementalistes, mais également tous les enfants qui réalisent en nettoyant minutieusement la forêt, que la beauté de ce site mérite d’être protégée.






• Parlez-nous de l’importance à long terme de la sensibilisation des familles,
notamment les enfants.


Un enfant qui a ramassé les ordures et qui a reboisé en parle généralement avec enthousiasme à sa famille et à tous ses camarades de classe. Il tire une intense fierté à voir son travail reconnu et sa photo diffusée dans la presse locale ou sur la toile. Cette satisfaction personnelle l’éloigne durablement de comportements irrespectueux de l’environnement. Ces mêmes enfants endossent un rôle de veille, ils deviennent les gardiens de leur forêt et informent leur entourage. L’objectif recherché est de préserver cet enthousiasme, d’en faire pour lui une source d’apprentissage de premier ordre à partir du moment où ses petites mains rencontrent la terre pour y planter un arbre. Chaque enfant qui participe à nos actions devient un vecteur de diffusion de notre message de sensibilisation :"Le LIBAN n est pas une poubelle ".



Le rôle des collectivités locales dans la préservation de l’environnement surtout à Jezzine : les lacunes et les solutions.


Les collectivités locales ont un très grand rôle à jouer dans la préservation de l’environnement , ceci est vrai pour le Liban , mais pour la plupart des pays développés du monde , dont la France, ce ne sont que les collectivités qui assument ces taches .
Ce qui est particulièrement intéressant dans le cas de Jezinne et sa région , c’est que la forêt de Pins de bkassine a su réunir toutes les municipalités environnantes autour de la nécessité de protéger ce patrimoine, créant ainsi une dynamique collectiviste, ce qui est, il faut le dire, assez rare au Liban, à cause des divergences politiques ou de clans. Ici, la foret permet de mettre tout le monde d accord, et c’est cela, le pouvoir mobilisateur de l’environnement. Un oiseau ne se posera jamais la question de savoir si tel arbre est musulman ou chrétien, de tel ou tel parti politique, avant de s’y poser. L’on comprend très vite le rôle tres important des ONG qui servent de catalyseurs d idées et de projets, pour assister efficacement les municipalités. En mobilisant toutes les énergies vives, nos besoins et nos ambitions communs, nous pouvons contribuer au changement des mentalités et des comportements au Liban.




Les habitants seront-ils prêts à entreprendre de telles initiatives même en l’absence de l’ONG ?

Le premier réflexe des habitants est souvent de se défausser et de faire endosser à l’Etat et aux municipalités la responsabilité de tous leurs malheurs.
Or, force est de constater que le libanais lambda ne se soucie pas beaucoup de l’espace publique et les problèmes de déchets récurrents a toutes les municipalités en sont la preuve. Il a pourtant le pouvoir (et le devoir), à son niveau, de contribuer au bien-être collectif.
Les Libanais qui vont pique-niquer par exemple, n’ignorent pas qu’il est de leur devoir de citoyens de ramener tous leurs déchets avec eux et de les mettre dans des sacs poubelles dans leurs voitures, mais par facilité et négligence, ils préfèrent les jeter au milieu de la forêt de pins sans songer aux conséquences désastreuses de tous ces déchets non biodégradables sur leur environnement qui fait justement du Liban une destination touristique très prisée.
Les habitants ne semblent pas encore prêts à prendre ces initiatives d’eux-mêmes. Les ONG misent alors sur la sensibilisation et la mobilisation de la population, surtout la jeunesse, pour réveiller les consciences et pousser à adopter des comportements civiques salutaires et respectueux du bien commun que constitue l’écosystème libanais.



Notre objectif est de poursuivre nos actions de sensibilisation auprès des enfants, des écoles, des boyscouts, des familles, via la mise en place de campagnes d’information et de sensibilisation du type " le Liban n est pas une poubelle ", puis d’engager des actions de plus grande envergure en prenant exemple sur le nettoyage intégral de la forêt de bkassine, avant de jouer pleinement notre rôle de catalyseur d idées, et d’être force de proposition auprès du ministère de l intérieur afin de réfléchir ensemble aux actions à entreprise, incluant les possibles sanctions précédemment citées contre ceux qui polluent notre environnement.
Il est important, pour accompagner nos actions de nettoyage et faire en sorte qu’elles ne soient pas vaines, de prévoir des sanctions exemplaires à l’encontre des citoyens qui persisteront à polluer. Sinon, même avec toute la meilleure volonté du monde, nos actions ne serviraient à rien.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo Ibrahim, c'est super cette énergie, cette mobilisation.
Bonne continuation.

Thinh

Unknown a dit…

En effectuant des recherches personnelles qui n’ont qu’un but, celui de me rendre utile à ce pays qui est celui qui m’a vu naître, je suis tombée sur votre saisissante lettre sur le site des ONG. Je l’ai lue en entier, ce qui m’a amené sur votre blog. Tout ce que vous défendez, tout ce pour quoi vous vous battez, c’est justement cela que je cherche à réaliser, selon mes propres moyens.
Je suis architecte et je suis française. Française depuis mes cinq ans. Mes parents m’ont toujours éduquée dans l’amour du Liban, dans la nostalgie de ses douceurs et dans la peine des pertes infligées par les guerres. Je n’y suis retournée que deux fois depuis notre arrivée en France. La première fois, j’avais été choquée durablement par les dépotoirs laissés le long des routes, dans la montagne du Sud (je suis originaire de Macknounié, dans le Sud). Je m’étais promise de faire quelque chose contre ça. J’avais douze ans. C’était un rêve pour moi. Je veux le réaliser aujourd’hui. La seconde fois, c’était en 2000. Nous avions visité la prison récemment désertée par les soldats israéliens de Khiam. Sur la route du retour, un paysage magnifique s’est présenté à nous. Nous nous sommes arrêtés et nous sommes sortis de la voiture. Du barbelé était jeté négligemment. J’ai fait un pas pour le franchir mais un ami libanais m’a arrêté. Derrière, il pouvait y avoir des mines. Soudain, toute cette étendue n’était plus accessible. Une terre qui n’appartient plus à ses habitants.
Vos actions environnementales pour reboiser le sud Liban et ramener une économie à ses habitants m’ont convaincue. Vous parliez aussi, dans votre lettre, de créer des cafés francophones et des maisons de la jeunesse dans les villages. Où en sont ces projets ? Y a-t-il eu déjà quelques réalisations ? Avez-vous trouvé des fonds pour les atteindre ? Avez-vous fondé cette agence qui doit être un lien entre les instances municipales et les populations concernées ?
Je suis très intéressée par vos actions, très proche de vos rêves. Je voudrais apporter mon aide à votre construction. Comment puis-je faire ?